Depuis l’entrée en vigueur du confinement, les distributeurs vendent le pain de 75F à 100F notamment dans les quartiers périphériques. À cette spéculation s’ajoute une baisse du poids de cette denrée prisée des Congolais.
Le pain fait partie des aliments de base des Congolais. Il est surtout prisé dans les grandes agglomérations de la République du Congo. Dans un cadre de confinement à domicile dû à la pandémie du coronavirus (Covid-19), nombreux sont les Brazzavillois qui se précipitent pour s’approvisionner auprès des boulangers et des boutiquiers.
En effet, la hausse du prix ne concerne pour l’instant que les boules de pain. D’après les distributeurs, la situation est liée aux difficultés de transport pour la livraison et la vente du pain. Ils évoquent par ailleurs la spéculation autour des prix des matières premières qui rentrent dans la fabrication de la baguette, à savoir la farine, la levure…
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Cette situation exaspère un peu plus les consommateurs déjà confrontés à une hausse vertigineuse des prix d’autres produits de première nécessité. Du côté des associations de défense des droits des consommateurs, à l’instar de l’Observatoire congolais des droits des consommateurs, l’on déplore une absence de coordination entre le ministère du Commerce et les équipes de contrôle sur le terrain.
«Nous avons constaté que le poids du pain vendu par les distributeurs a considérablement diminué. Le pain vendu aux consommateurs via les boulangeries garde encore sa forme que celui acheté auprès des distributeurs. Cette situation est révélatrice d’une faible coordination et d’absence de stratégie efficiente entre le ministère du Commerce et les différents services de contrôle », a souligné le secrétaire exécutif de l’Observatoire, Mermans Babounga.
Il faut noter que le marché de la boulangerie au Congo a fait l’objet de plusieurs mesures ces derniers mois. En janvier 2019, un arrêté ministériel a été pris pour mieux règlementer le transport et la vente de cette denrée dans les conditions d’hygiène. Par exemple, il est interdit l’usage des véhicules de transport en commun ou d’autres moyens non adaptés pour en assurer la livraison aux vendeurs.
Adèle Banzouzi en train de vendre son pain au marché du Château d’eau, dans le quartier Ngangouoni de Makélékélé. Photo Franck Bitemo/Banque mondiale
Les consommateurs interprètent diversement l’arrêté du ministre en charge du Commerce, Claude Alphonse Nsilou, réglementant la commercialisation du pain et des produits de pâtisserie en République du Congo.
Selon le texte, « le transport pour la livraison et la vente du pain et des produits de pâtisserie sont exclusivement réservés aux personnes physiques de nationalité congolaise ».
Nulle part, il évoque l’interdiction aux étrangers de procéder à la fabrication du pain et des produits de pâtisserie sur le sol congolais, comme l’interprètent malencontreusement certains consommateurs.
Le pain fait partie des aliments les plus prisés dans les grandes agglomérations du pays. Depuis un certain temps, le transport et la vente de cette denrée alimentaire sont effectués dans les conditions précaires.
« Le pain est mis dans les conditionnements non commodes et vendu parfois à même le sol. L’on se sert des motos et des moyens inadaptés pour le transporter. Ces pratiques exposent les consommateurs aux maladies liées au manque d’hygiène », déplore un consommateur du pain.
L’arrêté du ministre du Commerce commande que le pain et les produits de la pâtisserie soient mis à l’abri des mauvaises conditions d’hygiène. Il interdit également l’usage des véhicules de transport en commun ou d’autres moyens non adaptés pour en assurer la livraison aux vendeurs.
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« Toute infraction aux dispositions du présent arrêté sera sanctionnée conformément aux textes en vigueur», prévient le texte du gouvernement.
Les unités de production du pain sont en majorité tenues par les ressortissants étrangers. Certains d’entre eux font travailler leurs employés, parmi lesquels les Congolais, au mépris des dispositions du code du travail.
Selon le secrétaire exécutif de l’Observatoire congolais des droits des consommateurs, Mermans Babounga, la réaction du ministère du Commerce arrive un peu tardivement.
« C’est bien mais, ce n’est pas assez. Il fallait traiter cette restriction dans sa globalité car, la chaîne de distribution et de vente de plusieurs produits se trouve entre les mains des étrangers. En plus, il serait mieux de les consulter pour éviter toute interprétation xénophobe», dit-il.
D’après lui, les Congolais attendent toujours la publication des textes d’application sur l’exercice du commerce et la loi sur la protection des consommateurs.
Adèle Banzouzi en train de vendre son pain au marché du Château d’eau, dans le quartier Ngangouoni de Makélékélé. Photo Franck Bitemo/Banque mondiale
Le ministre en charge du Commerce a publié le 18 septembre 2018 une note circulaire fixant les prix de vente plafond de la farine et du pain. Soit 18.000 F.CFA à Pointe-Noire et 19.600 à Brazzaville pour le sac de 50Kg. Demeurent applicables les grammages et prix des baguettes de pain de référence. Soit 100 F. CFA à Pointe-Noire (180 grs) et 150 F.CFA à Brazzaville (220 grs).
Selon les boulangers, ce prix du sac de farine réduit considérablement leur bénéfice, à tel point qu’ils ont supprimé le corps de métiers des intermédiaires qui approvisionnent les vendeurs au détail. Explications avec M. Christian Mbia, le président du Syndicat des boulangers et pâtissiers du Congo.
*On croit savoir que vous avez supprimé les intermédiaires ou revendeurs de pains auprès des boulangeries. De quoi s’agit-il exactement ?
**Il faut, tout de suite, signaler que la problématique du revendeur (ou intermédiaire) de pain a été créée par nous-mêmes les boulangers. Nous avons créé ce corps de métier afin de faciliter la vente de notre produit, ce fameux pain. Ces intermédiaires ou revendeurs se chargeaient d’approvisionner les points de vente au détail. Mais du fait que le prix d’achat de la farine de blé ne fait qu’augmenter continuellement, nous nous sommes confrontés à un manque de bénéfice réel. En tant que syndicat, nous nous sommes dits qu’on ne peut plus laisser ces intermédiaires gagner 25 frs sur le prix du pain, alors que nous-mêmes les boulangers nous ne gagnons plus rien, cela n’est pas normal. Nous avons donc éradiqué le mal à la racine en supprimant les intermédiaires qu’il y avait entre les boulangers et les points de vente au détail. Dorénavant, le vendeur final (ou point de vente au détail) achète le pain directement à la boulangerie à 80 frs. Et le consommateur l’achète à 100 frs (baguette de 180 grs à Pointe-Noire) et à 150 frs (baguette de 220 grs à Brazzaville). Il n’y plus d’intermédiaires ou revendeurs se promenant dans la ville sur les vélos Djakarta avec des sacs de pains à livrer aux différents points de vente au détail.
*Finalement, c’est le corps de métiers des intermédiaires ou revendeur qui a été supprimé?
**C’est bien cela. Nous avons récupéré ce que nous perdions habituellement depuis longtemps. Cela est logique. Ces revendeurs ou intermédiaires qui approvisionnaient les points de vente du pain au détail gagnaient plus que nous. Soit 25 frs sur chaque baguette. Un moment donné, on leur octroyait même 6% sur la quantité de pain qu’ils revendaient et on est même arrivé à la dotation en vélo moteur (Djakarta) pour la distribution.
Comme le sac de farine produite localement est passé de 15.000 frs à 18.000 à Pointe-Noire et à 19.600 frs à Brazzaville (NDLR: cf. circulaire n°0136 du 18 sept 2018 du ministre du Commerce), notre marge bénéficiaire a quasiment disparu. Raison pour laquelle le prix du pain à la boulangerie est aujourd’hui à 80 frs. Mais même avec ce prix de vente de la baguette à la boulangerie, le boulanger n’entre presque pas dans ses frais. Cependant, le prix du pain chez le détaillant reste inchangé pour le consommateur, conformément à la circulaire ministérielle. Ainsi, pour nous permettre de survivre, le détaillant ou vendeur final doit s’approvisionner lui-même directement à la boulangerie. J’ai signé une note circulaire qui interdit aux intermédiaires ou revendeurs d’acheter du pain à la boulangerie.
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*De nombreux intermédiaires ont donc perdu leur emploi? N’y a-t-il pas moyen de faire autrement?
**Effectivement, à Pointe-Noire, près de 300 intermédiaires ou revendeurs ont perdu leur emploi du fait de la suppression de leur poste. Mais à défaut de mourir, que voulez-vous qu’on fasse. Autrement, c’est le secteur entier de boulanger qui risquerait de disparaitre. Ces intermédiaires ou revendeurs nous grignotaient 25 frs par pain. C’est énorme. Je vous le répète, à 18.000 frs le sac de farine de 50Kg, le boulanger n’entre pas dans ses frais quand il vend le pain à 50,75 frs ou même à 80 frs, comme nous le faisons actuellement.
Tenez! Nous étions à 5.000 F. CFA le sac de 50Kg produit localement par la Minoterie d’aliments de bétails (MAB) dans les années 1992-1993. Ensuite, il est passé à presque 9.000 frs en 1995, puis à 14 et 15.000 francs au début de la décennie 2000. Et aujourd’hui à 18-19.000 frs tel qu’indiqué par la note ministérielle. Pendant ce temps, le prix de vente du pain au consommateur est resté bloqué à 100 frs pendant presque deux décennies. La conséquence, c’est que la marge bénéficiaire du boulanger a fini par disparaitre. A ce rythme, je crois que c’est la profession qui risque de s’éteindre.
*Finalement, comment se présente la structure des prix du pain?
**A mon sens, il n’y a pratiquement pas de structure de prix du pain. Ce prix est le même, bloqué à 100 frs depuis des décennies. La structure que nous pouvons calculer, c’est de nous débrouiller à décortiquer ces 100 ou 150 frs pour voir combien on y gagne réellement une fois qu’on a acheté le sac de farine à 18.000 frs, l’améliorant, la levure, le sel, l’huile, le gas-oil ou l’électricité pour faire tourner les fours, les charges salariales, etc. Mais dans tout cela, on ne doit pas dépasser les 100 frs pour le pain de 180 gr. Vous comprenez que c’est difficile de s’en sortir.
Du fait qu’il y a deux usines de fabrication de la farine de blé installées au Congo, l’importation de la farine ne se fait plus. Ces deux usines s’entendent pour fixer le prix de vente de leur farine sur le marché local, et ils l’augmentent, dit-on, en fonction du prix du blé sur le marché international. Et pendant ce temps, nous les boulangers, on doit continuer à vendre la baguette de pain au même prix depuis plusieurs années. Allez-y comprendre!